Marc Lavoine : Ma foi est un combat…
Depuis son plus jeune âge, le chanteur et acteur entretient un lien intime et discret avec Dieu. A 52 ans, Marc Lavoine désire s’ouvrir davantage à la culture religieuse, jusque-là laissée de côté en faveur d’une foi innocente et spontanée. Il nous parle aussi de son attachement à Sainte Rita, sa « figure spirituelle ».
« J’aime pousser les lourdes portes des églises parisiennes, baignées de silence, contempler mon verger tapissé de 4000 jonquilles, allumer une bougie dans la pénombre d’une chapelle, murmurer les mots pauvres d’une prière ingénue, naïve. C’est là que je trouve Dieu. Ma foi est cette vie débordante, que je ne vois pas, mais que je sens. Telle une ignorance délicieuse, elle est éclairante, mais pas éblouissante. Elle ne rend aucun compte et n’exige aucune dictature de pensée.
J’ai reçu un appel à l’âge de 5 ans. Bien loin d’un saisissement foudroyant, ce fut très délicat, d’une grande simplicité : un beau jour, je me suis senti en vie, là. À cette présence au monde s’entremêlait la conscience de ma finitude : mon existence pouvait s’arrêter d’un instant à l’autre. Sans faire de la métaphysique, je réalisai que le fait même de vivre relevait d’un miracle, d’une loterie inouïe, organisée par un forain dont je m’imaginais un visage, une voix, un regard. À partir de là s’est posée la question du “Pourquoi ? Pour quoi ?”. N’ayant pas de réponse satisfaisante, j’ai commencé à cheminer. Chemin comme course vitale. Vie comme toutes ces choses plus grandes que nous-mêmes. Ma foi est un combat contre mes mauvais penchants, contre mon incapacité à être à la hauteur de ce qu’on m’a offert ou prêté.
Je crois en Dieu parce que cela s’est imposé à moi. Aucun conditionnement n’a permis cela. Mon père, communiste, misait tout sur la science et la médecine. Ma mère, elle, croyait malgré l’adversité. […] Tel un torrent la dépassant, la foi était plus forte qu’elle, que tout. Je pense que mon chemin n’aurait pas été le même si j’avais été élevé dans une famille complètement catholique : d’avoir à vivre les choses personnellement m’a poussé à réfléchir, à ne pas m’installer ; à m’ouvrir aussi.
Ce sont des rencontres qui m’ont peu à peu constitué. L’une d’elles, avec un prêtre de la paroisse de Saint-Thomas-d’Aquin, à Paris, fut fondatrice. Lorsqu’il me dit que je chantais par désir d’aimer, je réalisai qu’il avait tout compris. Alors que petit j’étais effacé et timide, j’ai voulu aller vers ceux qui, n’osant pas se lever, attendent que l’on s’adresse à eux. […]
Des années plus tard, alors que j’étais dans un bus, je me suis retrouvé nez à nez avec des enfants autistes. Je fus comme aimanté. Depuis, je n’ai cessé de m’investir auprès d’eux, notamment par le biais du journal Le Papotin, que nous concevons ensemble. La foi, c’est aussi se battre en faveur de causes. Quelqu’un a dit que Jésus était le premier communiste. J’aime cette idée.
Plus le temps passe, plus je prends de la distance dans ma vie personnelle et professionnelle. Je deviens assez minimaliste dans mes fréquentations. […] Cette période d’absence, sorte de retraite que je m’impose et que j’impose aux autres, n’est pas facile, et pourtant essentielle. Je sens que je suis à un tournant de ma vie. Je ne suis pas un impatient de la fin, je fais le point. Il me faut traverser ce désert et cesser de me raccrocher à des protections infantiles. J’expérimente aussi le paradoxe de la solitude malgré la présence des autres. Dieu, lui, habite cette béance. Il marche à côté de moi, du moins devant.
Je suis encore un adolescent, un débutant dans la foi. Il me faut accepter cette immaturité, c’est elle qui peut aboutir à une forme d’épanouissement. Ignorant, j’ai l’impression de démarrer une carrière dans ce domaine, me menant vers une nouvelle culture. Lorsque vient le Notre Père à la messe, je scrute les lèvres pour suivre. Je suis un enfant répétant naïvement les paroles. Jusqu’alors, il ne me paraissait pas important de connaître la langue religieuse. Je réalise qu’en l’apprenant j’emprunterai un chemin où chaque pas me fera découvrir ce qui se niche derrière les mots, le discours. Et fera écho, je l’espère, à ma propre existence. […]
J’ai toujours aimé Sainte Rita, totalement donnée aux gens du peuple. Tout en étant une grande figure, elle est de la rue, des petits ; elle a un parfum de soupe populaire, comme l’abbé Pierre, sœur Emmanuelle ou mère Teresa. Sa grandeur, c’est d’être en bas. Il faut s’agenouiller pour être plus petit qu’elle. Moi qui suis issu d’un milieu travailleur, communiste, populaire, je me sens proche de cette figure accessible et non moins mystique. Elle me démontre que le spirituel peut se vivre dans le plus concret de nos vies. »
Extraits de l’interview de Anne-Laure FILHOL
Texte paru dans « Les essentiels de La Vie » - avril 2015
Mes conseils pour être ensemble
1. Solidarisez-vous
Notre société individualiste est obsolète. Considérons les autres comme des socles, des sources d’enrichissement et d’entraide, dans notre travail et plus largement dans notre quotidien.
2. Allez à la rencontre
Je vois la vie collective comme une mission qui nous est confiée et qu’il faut assumer. La foi, c’est vivre avec. Vivre et avancer sur des chemins parallèles, mais dans l’espoir qu’ils se croisent, pour une rencontre véritable des êtres. Quotidiennement, je tente d’atteindre l’autre rive pour y découvrir celui ou celle que je crois connaître, mais qui pourrait aussi rester un mystère si je n’allais pas vers lui, vers elle. On ignore nos proches, il faut les redécouvrir en permanence. Les gens qui sont sous nos yeux sont flous. Il est donc important de temps à autre d’instaurer une distance avec ceux que nous avons tendance à considérer comme notre propriété. La liberté est un risque à prendre.
3. Engagez-vous
Je suis touché par les enfants malades, au ban de la société. La maladie a tendance à créer une distance, or elle devrait relier les gens, entre malades et bien portants, entre ceux qui voient et ceux qui ne voient pas. Les autistes ont considérablement amélioré ma vie. Je sens une forme de joie en leur présence. Je respire mieux, je bats mieux. Je suis moins angoissé, moins complexé, moins imposé par cette société qui sait tout. J’ai le droit d’être dans mon erreur, dans ma fragilité, dans ma recherche d’un cap. Avec eux, je vis.